Comment est votre réputation ?
Dernière mise à jour : 27 oct. 2022
Il y a ce qu'on sait, ce que l'on croit savoir et surtout ce que l'on imagine. Si la croyance et le fantasme sont dignes d'intérêts, ça marche toujours mieux lorsqu'ils sont alignés avec la réalité. Entre distorsion, effet d'entraînement et chambre d'écho, la preuve sociale a la vie dure.

Dans le précédent article, j'ai parlé de ma maman et de ses déconvenues avec des vendeurs de voitures. Plus qu'une charge sur le cliché du vendeur d'occasions, on touche surtout à la notion marketing de réputation de marque (ou Brand perception si vous voulez vous la péter).
Résumé de l'histoire :
Ma maman a été fidèle cliente d'une marque automobile pendant 40 ans (Peugeot)
Un mauvais vendeur lui fait peur
Elle fuit et déprécie la marque
Elle part vers une autre marque (Citroën)
Elle donne sa confiance à cette nouvelle marque
Sa confiance est sournoisement et lentement trahie
Elle perd foi en l'humanité (j'exagère, mais ca ajoute de la tension dramatique)
Voilà pour le contexte, on va pouvoir travailler à partir de ça.
L’œil du spectateur...
Ma maman est de cette génération qui croit en l'intégrité morale du marché et de ses acteurs. Cette génération pour qui il y a prime à l'ancienneté et à la constance. Cette génération pour qui "vu à la télé" a une valeur réconfortante. Cette génération qui parle d'internet comme d'une nouveauté parce qu'à un certain point de leur vie, ça l'a été.
On les appelle couramment les "boomers". Dans la bouche d'un non "boomer" c'est si connoté que ça en devient insultant. Je finirai par être le "boomer" de mon fils. Le cycle se perpétuera tant qu'il y aura des jeunes et des vieux. N'y voyez donc aucune insulte.
Ma mère croit, non pas parce qu'elle est crédule, mais parce que cela valide son mode de vie. Ses croyances lui ont globalement profité et son monde est plutôt confortable. Elle n'a pas de raison de les remettre en question. Il faut être fou pour laisser la curiosité chambouler son confort, non ? Surtout que ma maman sait que la curiosité est un vilain défaut : on le lui a enseigné à l'école.
... et la nature des lunettes
Pour cadrer son monde, elle fait confiance à ce qu'elle en connaît : ses expériences, sa famille, ses amis, ses proches, ses lectures, ses médias… Tout ce qui propose une opinion plus ou moins objectivée à laquelle elle peut s'identifier et adhérer.
Comme tout un chacun, elle évite autant que faire se peut le conflit. Il est plus rassurant de voir ses opinions confortées que confrontées. Ses preuves sociales sont restreintes issues d'un cercle fermé et de médium professionnels en accord avec sa vision du monde, donc prévisibles et consensuelles.
Nous le faisons tous, quelle que soit notre génération.
La taille du porte-voix
Normalement, les déconvenues commerciales de ma maman et ses dénégations de marque ne devraient toucher qu'un cercle restreint : sa famille, ses amis, ses proches… Quelques personnes physiques tout au plus. La portée est négligeable.
D'autant plus que chaque individu aura ses propres croyances et vérités en la matière. La résistance est naturellement forte. Le risque de propagation est inversement faible.
Il faudrait que ma maman prêche avec zèle et conviction contre les vendeurs de voitures pour que cela fasse bouger les lignes. Le sujet étant trivial, il y a peu de chance pour que cela se produise.
Mais ma maman est du genre têtue. Alors elle est allée sur internet.
La sagesse de la foule
Elle commence local et cherche le garage du malandrin. Ma maman ne tombe que sur des avis clients dithyrambiques. Elle sait qu'elle a été roulée. Elle est donc déçue. Elle creuse les avis du magasin et en trouve un aux échos similaires aux siens. Elle n'est donc pas folle. Elle est rassurée.
Mais, si tant de gens sont contents et si peu mécontents, d'où vient le problème ? Au niveau de l'humain et pas de la marque, peut-être ? C'est ça, ça doit être la faute du vendeur. Alors ma maman laisse son témoignage. Son commentaire ne cible que le vendeur. Avec politesse, il s'agit là d'éduquer, pas d’admonester (ie : la version soutenue de "clasher")
Problème réglé.
La parole libérée
Fière d'avoir fait acte social de prévention d'un danger, ma maman surveille l'évolution des avis. Il ne faut que quelques jours pour qu'un nouvel avis négatif apparaisse. Puis un autre. Puis plusieurs autres, le rythme exponentiel.
Les mécontents croisent leurs témoignages et leurs griefs. Et, surprise, les problèmes ne sont pas liés qu'au vendeur de ma maman.
Chacun a le sentiment d'avoir été trahi, abusé, puis ignoré, pire : isolé. On questionne les avis trop positifs pour être vrais. Les défenseurs de la marque entrent dans la danse. Le ton monte et les esprits s'échauffent. Les commentaires et avis deviennent un champ de bataille.
Nul doute qu'à ce stade, si vous cherchez un garage vers chez ma maman, vous fuirez celui-ci.
Dommages irrémédiables
La guerre fait rage. On ne parle rien de moins que de faire triompher la vérité, universelle, pleine et entière (et surtout unilatérale). Mécontents de tous les garages, unissez-vous !
Les thématiques étant globalement identifiables (pratiques commerciales un peu agressives, service client traînassant, options optionnelles obligatoires, contrats plein de surprises...) les conversations s'exportent aisément vers les autres garages de la marque.
Puis vers la marque dans son ensemble. L’opprobre est irrémédiable.
La boite de pandore est grande ouverte. La refermer est une gageure.
Heureusement, ce n'est qu'une fiction
Ma maman n'a pas déclenché de guerre contre l'industrie automobile française et ne s'est pas radicalisée en ligne.
S'ils n'en pensent pas moins, les gens comme ma maman ne font pas les choses comme ça. Enfin, pas tous. Pas encore.
Mais il en sera bien moins sûr avec les générations qui les suivent.
A nouveau jeu, nouvelles règles ?
La morale marketing de cette histoire...
Il suffit de bien peu - un employé mal dirigé, une vision peu compatible avec la réalité ou une mentalité dépassée - pour que tout bascule du jour au lendemain.
Si les pratiques court-termistes à haut rendement d'hier avaient plus d'avantages que d’inconvénients, leurs répercussions potentielles actuelles sont bien plus néfastes.
En conséquence, elles ne devraient être ignorées.
Dans cette petite (presque)fiction, j'ai parlé implicitement de 3 notions très importantes dont voici les définitions :
Brand perception
Il s'agit non seulement de la manière dont la marque est perçue par le consommateur, mais l'ensemble des sentiments qu'elle va véhiculer chez lui. Les actions de préservation, de renforcement ou de correction de la perception de marque sont subtiles et parfois infinitésimales. La moindre interaction avec un représentant de votre marque peut changer la perception d'un individu. Changez suffisamment d'individus et votre réputation suit. La perception de votre marque n'a rien de rationnelle, elle est implicitement émotionnelle.
Les émotions n'ont rien de constant. Les émotions fortes balaient tout sur leur passage.
⬆️ pour remonter
La preuve sociale
Principe de psychologie sociale, la preuve sociale implique que lorsqu'un individu doit faire un choix sur un sujet où il n'a ni opinion tranchée ni expertise particulière, il aura tendance à se rallier à l'opinion majoritaire. Notre internet moderne use et abuse volontiers de ce principe, dont les commentaires clients ne sont qu'une émanation.
Manipulée, la preuve sociale peut émettre un retour de flamme catastrophique, les gens n'aimant globalement pas être abusés.
Les ambassadeurs de marque
Dans la lignée du précédent, les ambassadeurs de marque sont les défenseurs convaincus de la marque et leur caution en crédibilité. Ils sont les mieux placés pour combattre les doutes et les attaques, puisqu'ils ne sont pas objectivés pour se faire et bénéficient honnêtement du service ou produit qu'ils défendent.
A chouchouter, donc.